Panier (0)

Naapi
FRANÇOIS SERVANT
Isbn: 979-1096559114
Date de publication: 15 août 2024
Dimensions: 21 x 14 cm
Poids: 327. Gr
Langue: Français
Nombre de page: 262
Catégorie: FICTION
Dans les espaces grandioses du Montana en octobre 1981, deux frères jumeaux de la tribu amérindienne Blackfeet, vétérans marqués par la guerre au Viet-Nam, se débattent avec leurs rêves brisés et leurs secrets inavouables, les enjeux familiaux et les pulsions destructrices. Sous le regard posthume de Naapi - Grand-père, héros culturel de leur tribu, mais aussi un fauteur de trouble - ils sont entraînés malgré eux dans une spirale tragique.
Journaliste, créateur de magazines et précurseur des youtubeurs sur les premières web TV, François Servant a séjourné de nombreuses années au Canada, en Inde, aux Antilles. Il questionne, dans son travail de romancier, la douleur de l’expropriation culturelle.
« Je commençais à m’impatienter », avait dit Raw à l’arrivée de Ash. « Je ne vais pas tourner autour du pot. Je m’apprête, pas plus tard que demain, à concrétiser ce rêve que nous avions quand on était mômes, quand on s’imaginait gangsters comme grand-père Dan ».
Malgré l’ivresse, qui le faisait tituber un peu et ses yeux de lapin albinos, l’intonation de la voix de Raw ne laissa place à aucune hésitation. Il s’en tint aux faits, exposant son plan dont il disait avoir pensé chaque détail depuis plusieurs semaines. « Non seulement tu seras comme au cinéma, mais en plus je vais m’occuper de ce Gustafson que tu ne supportes pas. Alors maintenant la question est : Tu en es ou pas ? »
-Tu me mets au pied du mur Raw, c’est un projet de dingue !
- Comparé au Vietnam, ce n’est pas grand-chose… et puis ce n’est pas comme si je te demandais de le faire avec moi, juste d’être là, en couverture, uniquement au cas où et puis aussi pour voler les voitures ce soir, enfin si tu viens, sans quoi… Bon sang, t’as pas envie de ressentir ce frisson-là de nouveau, Ash ? »
Et bien que tout semblât en dépit du bon sens, Ash s’entendit répondre : « Oui », comme on épouse la folie en espérant d’elle la paix.
-Dans ce cas, Ash, pas de temps à perdre.
(…)
Ash raccrocha la radio sur le tableau de bord, alluma les phares et démarra. Il longea la rive par la piste jusqu’à la pointe nord du lac qu’il contourna par l’est pour pénétrer dans la forêt. Une brume mouvante s’accrochait aux branches et aux épines des sapins. La Jeep cahota pendant plusieurs kilomètres avant qu’il stoppe et la laisse en évidence comme un alibi sur le bord du chemin et qui laisserait entendre qu’il serait dans les parages. Il rangea sa veste d’uniforme avec son fusil dans le coffre et la troqua pour celle de chasse. Il enfila les sangles de son sac sur ses épaules et s’enfonça dans les sous-bois, grimpa le fil d’une sente raide pour couper au plus court tout en espérant ne pas y croiser une femelle et ses oursons. Au bout d’une vingtaine de minutes d’un train forcé, il réémergea sur une crête pour retrouver le chemin de randonnée qui redescendait de l’autre côté, jusqu’à Coram. Le froid était vif, les sommets se dissimulaient sous la masse des nuages qui semblait s’entasser au nord. Il leva la tête en direction des cris nasillards, le V des oies en migration se dessinait sur le ciel d’aurore. Il se demanda si Raw une fois sa lubie réalisée partirait comme il le lui avait dit, il pensa aussi qu’il pouvait encore renoncer, mais la perspective d’un nouvel équilibre entre son frère et lui resta la plus forte. Une fois le véhicule que Raw et lui avaient laissé sur place la veille fut récupéré, il prit la direction de Whitefish. Vingt minutes plus tard il se garait le long de Jefferson. De là, il dominait la rue St Patrick, un peu plus bas, juste après le croisement avec Woodland Avenue. La lumière glissait nerveusement entre les nuages, léchait les murs, ébauchait une présence, un scintillement, disparaissait pour réapparaître un peu plus loin. Les drapeaux nationaux et les bannières publicitaires au flanc des bâtiments claquèrent soudain et les tas de poussière fraîchement balayés se mirent à tourbillonner avec les feuilles mortes. Les premiers flocons se posèrent sur son pare-brise certains transformés en gouttes iridescentes, d’autres, plus résistants, s’installèrent sur les essuie-glaces.
« Oui, ce qui parfois semble dépourvu de sens dans la vie finit tôt ou tard par s'expliquer. L'ascension du rocher sacré de Chief Mountain est une entreprise longue et périlleuse. Une fois arrivé au sommet, le panorama de la plaine vous rétrécit comme une fourmi et quand le premier rayon vous frappe au centre du front, tout semble soudain devenir si simple ».